Tuesday, May 6, 2008

L'art de l'Ancien Régime: le dernier souffle du plaisir « avant le déluge », 1770-1789

Les traits de la culture française de l’Ancien Régime sont témoignés par plusieurs disciplines artistiques. En regardant la période de 1770 à 1789, des exemples dans les domaines des beaux-arts, des arts décoratifs et de l’architecture attestent à la joie de vivre artistique qui régnait. Notamment dans le domaine de la peinture, du mobilier, de la mode et des objets d’art, l’on peut observer cette esthétique de bonheur, de sentimentalité, et de divertissement aristocratique de l’époque, ainsi que le goût pour la nature et la vie bucolique à la campagne et l’allégorie classique de l’antiquité.

Pour commencer, la tradition de la fête galante, avec ses origines dans l’ouvrage de l’artiste valencien Antoine Watteau au début du XVIIIe, était toujours à la mode dans les années 1770 et 1780 sous Louis XV et Louis XVI. L’idée du plaisir et d’intimité, éléments intégrales dans la société prérévolutionnaire, a donc pu être soutenue dans le domaine artistique dans l’ouvrage d’artistes comme Jean-Honoré Fragonard. Né en Grasse en 1732, cet artiste a dominé la mode pour la fête galante dans les dernières années de l’Ancien Régime, remplaçant François Boucher, mort en 1770, comme un des plus grands artistes français de l’époque. Une série de tableaux de Fragonard crée pour l’actuelle maitresse de Louis XV, la comtesse du Barry, montre le style fête galante de Fragonard. Les Progrès de l'Amour dans le cœur d'une jeune fille, achevé entre 1771 et 1773, comprend une série de quatre panneaux montrant les aventures galantes de plusieurs jeunes filles avec des gentilshommes et des bergers, toujours dans un jardin. Remontant au pastoralisme de François Boucher, les tableaux montrent plusieurs histoires galantes presque théâtrales, rappelant l’organisation de L’embarquation pour Cythère de Watteau des années 1710.

Une quinzaine d’années plus tard, et Fragonard crée le même type de tableau, comme Le baiser volé, peint entre 1786 et 1788 environ. Ces thèmes récurrents d’amour et de sensibilité ne sont pas réglés à la peinture ; ils s’appliquent même aux objets d’art, comme dans une série de statues en biscuit d’Etienne-Maurice Falconet, de la Manufacture Royale de Sèvres. Deux exemples, Annette et Ludin et La fête au château, montrent des couples bergers amoureux. L’iconographie venant de tableaux d’artistes comme Boucher et Fragonard, la mode pour les scènes de tendresse et d’amour dans le métier artistique est claire.

Cette mode pour la fête galante a aussi joué dans le lancement de la mode pour la nature et de la vie champêtre. Après plus d’un siècle du protocole et de l’étiquette de Louis XIV à Versailles, la mode pour la vie plus décontractée a été déclenchée dans la seconde moitié du XVIIe, notamment par la reine Marie-Antoinette. Arrivée en France en 1770 pour épouser le futur Louis XVI, cette petite archiduchesse autrichienne a très vite commencé à réformer la vie à la cour. S’installant au Petit Trianon, un cadeau de son mari, dès 1774, la reine a transformé ce pavillon achevé en 1768 par Louis XV en éden rustique et agreste. Plusieurs objets et bâtiments du Petit Trianon témoignent la mode pour la nature et la vie simple qui étaient très à la mode avant la révolution.

Déjà, le Petit Trianon lui-même montre encore la mode pour l’intimité et la rupture avec l’imposant style baroque du grand château de Versailles. En traitant de la mode pour la campagne, la reine a même fait ériger une ferme en miniature, son petit hameau, à Trianon. Rassemblant plusieurs édifices de style normandes avec leurs toiles en chaume autours d’un lac artificiel, l’ensemble a été conçu entre 1781 et 1783. Malgré le fait que son hameau à Trianon lui a attiré l’opposition de la majorité des révolutionnaires et la haine du peuple, cette expérience champêtre faisait partie des bonnes œuvres de la reine, donnant à nourrir aux pauvres gens qui se mettaient à la grille de Versailles chaque jour ; elle faisait distribuer la récolte à ces personnes par les prêtres de paroisses versaillaises. Vêtue d’une robe dite « en gaulle », la reine recevait ses amis, eux aussi vêtus d’habits simples évoquant la campagne, à Trianon dans des salons meublés « au épis ». Quelques exemples- fauteuils, tabourets, écrans- de ce mobilier conçu par l’ébéniste Georges Jacob pour Marie-Antoinette en 1787 existent toujours à Versailles et démontrent la mode pour la nature dans encore une autre discipline artistique.

Avec ces deux thèmes d’amour et de simplicité naturelle, il y a eu aussi une mode pour la sensibilité et la tendresse dans le monde de l’art. L’artiste le plus connu dans la production d’œuvres tombant dans le travers de la sentimentalité est Jean-Baptiste Greuze. S’installant à Paris à partir de 1750, Greuze et son ouvrage représentaient la mode pour la moralité et l’émotivité à la fin de l’Ancien Régime. Or, la tradition de la fête galante et de ses amours secrètes ne manquait pas dans son ouvrage. Deux exemples, L’oiseau mort de 1775 environ et La cruche cassée de 1773 affirment cette influence. Il y a déjà le thème récurrent de la nature et de la simplicité de la vie paysanne avec la bergère tenant sa cruche et la jeune fille et son oiseau. La nature donc joue au niveau de la sentimentalité, d’une espérance pour une vie pure, simple. Mais, en analysant ces toiles de façon plus profonde, l’influence de la fête galante est discernable. Pour Greuze, les petits détails comme la cruche cassée et l’oiseau mort dans ces tableaux n’étaient pas simplement des allusions à la vie campagnarde, mais à la sexualité. Notamment, ils représentaient la perte de l’innocence ou de la virginité. De cette manière, l’art de l’époque de la fin de l’Ancien Régime devient plus complexe.

Finalement, le monde artistique fin-XVIIIe débute un des plus grands tournants avec l’avènement de Jacques-Louis David dans les années 1780. Cousin de François Boucher, David a commencé sa carrière en tant qu’artiste de style rocaille comme Fragonard et son cousin. Mais, il a très vite montré une autre tendance artistique remontant à l’antiquité. Un des premiers grands œuvres prérévolutionnaires de David, Le Serment des Horaces de 1784 témoigne toute à la fois la fascination avec l’antiquité suite à la découverte d’Herculanum et de Pompéi entre 1738 et 1748 et la nouvelle mode pour l’allégorie classique. Considéré comme un chef-d’œuvre du néoclassicisme, le tableau montre plusieurs éléments qui montrent des contrastes entre l’iconographie gaie et insouciante de Fragonard. Le corps masculin prend la partie dominante sur la toile, qui s’agit d’un moment d’action et d’énergie au lieu d’une fête galante. De manière importante, l’œuvre se concentre sur l’idée de valeur civique remontant à l’époque de la république romaine (les trois fils Horace étaient chargés de sauver la république). L’honneur se trouve dans le service à la nation, marquant un tournant dans la société rigide de l’Ancien Régime et qui a mené à la Révolution en 1789. En analysant cet œuvre dans ce contexte, les tournants et les développements de l’art prérévolutionnaire deviennent clairs et les stéréotypes d’un ouvrage frivole et décadent sont brisés.

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